La marque Alpine est née dans les années 50, et son modèle le plus glorieux, la Berlinette A110, est sortie en 1962. Et pourtant l'on fête un cinquantenaire en cette année 2018… Ce cinquantenaire, c'est celui de la création d'une usine Alpine à Thiron-Gardais, en 1968 donc, en renfort du site de Dieppe.
C'est l'une des gloires du Perche. Cette gloire, c'est l'aventure de la marque Alpine à Thiron-Gardais. Oui, ce même nom d'Alpine, longtemps indissociable de celui de Renault en compétition. C'était à la fin des années 60. A l'époque, la Berlinette A110, créée en 1962 dans le sillage de l'A108 et de l'A106, connaît un beau succès commercial. Il faut dire que ses victoires sur l'asphalte et la glace des rallyes font la gloire de son concept : moteur arrière, châssis-poutre en acier, caisse en fibre de verre-polyester pour une légèreté maximale. Résultat, même avec un moteur de seulement 956 cm3 issu de la série (de la Renault 8, en l'occurrence), l'A110 est un engin redoutable d'agilité. Les motorisations suivantes — l'A110 atteindra jusqu'à 122 ch pour les versions de série — lui permettront de tenir la dragée haute à ses concurrentes jusqu'à la fin de la production, en 1977.
Philippe Lamirault, élu providentiel
Ce n'est un secret pour aucun passionné d'automobile : le « fief » des voitures au logo bleu est bien la ville de Dieppe. D'abord rue Forest, en 1955, dans les murs de la propriété du beau-père de Jean Rédélé, créateur de la marque, puis avenue Pasteur, puis finalement avenue Bréauté en 1969. Mais au milieu des années 60, avec le succès de l'A110, la production des Alpine a déjà pris une dimension impressionnante. Le site de production de l'époque peine à satisfaire la demande, et Alpine en vient à perdre des commandes. C'est alors qu'intervient Philippe Lamirault, fidèle connaissance de Jean Rédélé et surtout directeur commercial Europe chez Renault, qui prend l'initiative de diffuser les Alpine dans son réseau dès 1965. Or Philippe Lamirault est aussi maire de la petite commune de Thiron-Gardais, et conseiller général.
L'occasion est belle de donner une dimension industrielle à cette bourgade rurale. Un terrain est trouvé sur la route de Chassant, et dès 1967 une usine ultramoderne sort de terre. On va y fabriquer des châssis et des caisses d'A110, l'assemblage final s'effectuant à Dieppe. C'est le début de sept ans d'aventure automobile à Thiron-Gardais. En 1971, preuve de la capacité du site, c'est la nouvelle A310 qui y entame sa production.
Un formidable élan pour la commune
1968-2018 : le 8 septembre, Thiron fêtait donc le cinquantenaire de l'implantation d'Alpine sur la commune. Avec un événement à la hauteur de ce morceau d'histoire. « Nous voulions rendre hommage à deux hommes qui ont contribué à développer notre ville, résume Victor Provôt, actuel maire de Thiron-Gardais. Car Alpine fut une formidable source d'énergie pour la commune durant ces sept années. Grâce à la marque, Thiron a connu un essor considérable, avec un dynamisme nouveau pour les associations locales, assorti d'un accroissement de la population. » Alors quoi de plus logique que de célébrer la mémoire de Philippe Lamirault et de Jean Rédélé par la présence de leurs fils respectifs, Olivier et Jean-Charles ? Et par une succession de rendez-vous, symboliques ou tout simplement festifs ? Au menu des festivités, un rallye touristique, l’inauguration d’un totem place de l’Europe, près de la Grange aux Dîmes, un déjeuner, et bien sûr une concentration de Berlinettes A110 dans le cadre des jardins de l’abbaye. Tous les possesseurs d’un spécimen Alpine A110 étaient évidemment conviés, et leurs clubs avec eux. Tout comme la nouvelle Alpine A110, deuxième du nom. Car l'histoire d'Alpine appartient passé, mais aussi au présent, et bien sûr au futur…
"Pour Thiron, une telle implantation était synonyme de nombreux emplois. D'autant qu'à partir du moment où vous créez un pôle industriel, d'autres entreprises vont possiblement venir s'y greffer."
Olivier Lamirault, fils de Philippe Lamirault, maire de Thiron-Gardais de 1953 à 1995
Trois questions à Olivier Lamirault, fils de Philippe Lamirault, maire de Thiron-Gardais de 1953 à 1995
Olivier Lamirault, vous êtes le fils de celui qui a permis l'aventure d'Alpine à Thiron-Gardais. Quel souvenir en gardez-vous ?
J'étais adolescent à l'époque et j'en garde des souvenirs bien précis. Il existe par exemple une photo où l'on me voit aux côtés de mon père et de Jean Rédélé, sur le site même de la future usine avant qu'elle ne soit construite. J'avais 13 ans. J'éprouvais déjà une forte passion pour Alpine, d'autant plus forte que Jean Rédélé est rapidement devenu un proche de la famille. Le lien affectif se mêlait à l'amour des voitures bleues.
Vous souvenez-vous des conditions du choix de Thiron-Gardais ?
Au milieu des années 60, la demande était assez forte pour la Berlinette, et il était prévisible que l'A310, alors en gestation, allait perturber fortement la production à Dieppe, qui était déjà au maximum de ses capacités. De son côté, mon père cherchait des industriels à même de créer de l'activité et de l'emploi dans la commune dont il était l'élu. Le lien d'amitié qui l'unissait à Jean Rédélé, mais aussi l'engagement moral qu'il avait pris de diffuser les Alpine au sein du réseau Renault, ont convaincu le constructeur de s'installer. Il est inutile de préciser que pour la commune, une telle implantation était synonyme de nombreux emplois. Qui plus est, à partir du moment où vous créez un pôle industriel, d'autres entreprises vont possiblement venir s'y greffer. Les entrepreneurs voient qu'ils sont bien accueillis, ce qui provoque un effet d'entraînement. Le groupe Lamirault que je dirige vient d'ailleurs de créer un nouveau pôle d'activité au nord de Chartres, et nous y observons le même effet « boule de neige ».
Pour autant, créer un pôle industriel en zone rurale ne va pas sans difficulté. Comment trouve-t-on les compétences, notamment ?
Des gens de Dieppe sont venus à Thiron pour assurer la formation sur place. Tout comme des gens de Thiron sont vraisemblablement allés à Dieppe pour y compléter leurs connaissances. La technique du polyester est une technique très particulière qui demande un solide savoir-faire. Mais parce que la montée en cadence s'est effectuée progressivement, les anciens ont pu former les nouveaux et le site de Thiron a toujours disposé des ressources humaines nécessaires. Ce que l'on oublie parfois, cependant, c'est que cette main-d'œuvre que l'on voulait attirer sur le site posait aussi la question du logement. Or mon père avait compris qu'il devenait assez facile de mobiliser des collaborateurs dès lors que l'entreprise leur fournissait l'accès à une habitation. C'est ce qu'il a fait en stimulant la construction sur la commune.
Un dernier souvenir, de cet adolescent que vous étiez ?
Sans doute le spectacle des coques de Berlinette de toutes les couleurs, chargées par huit sur des camions en partance pour Dieppe. C'était un plaisir, une fierté. Et une émotion qui restera gravée dans ma mémoire pour toujours.
Propos recueillis par: Philippe François
Photos: ©Philippe François